Le 2 mai 1989, The Cure sort son huitième album intitulé « Disintegration » où pour clore les années 1980, il revient sur les ambiances mélancoliques du début de la décennie.
Lorsqu’approche la fin des années 1980, la grande hantise des fans de The Cure est de voir leur groupe préféré devenir mainstream. La bande à Robert Smith aligne les tubes, vend des albums par camions entiers et remplit les plus grandes salles de concerts. Un certain agacement agite les rangs à voir le groupe participer à des émissions de variété (parfois dans un accoutrement ridicule qui plus est), à danser comme des imbéciles dans leurs clips et même à agrémenter leur répertoires de morceaux parodiques comme certaines plages funk et rythm’n’blues présentes sur le double album « Kiss Me Kiss Me Kiss Me » sorti en 1987.
Robert Smith lui-même avoue se demander s’il est pas en train de devenir un clown en jouant malgré lui le jeu du cirque médiatique. Le Kissin’Tour, où le cinq majeur (Robert Smith, Simon Gallup, Lol Tolhurst, Boris Williams, Porl Thompson) a été rejoint par le claviériste Roger O’Donnel, a été un succès mais à laissé les six membres du groupes sur les rotules. Robert Smith lui-même est tombé dans une phase dépressive, à la fatigue s’ajoutant l’angoisse de son trentième anniversaire qui approche à grand pas. Le leader du groupe ne cache pas sa lassitude des tournées, des fans oppressants, de la vie de groupe et de son statut quasi iconographique.
Malgré tout, Robert Smith compose encore et toujours. C’est seul qu’il imagine un futur album, qu’il imagine bien sortir sous son nom propre plutôt qu’en celui du groupe. Son désir est de mettre fin à l’hétéroclisme pop des précédentes productions et de revenir aux ambiances mélancoliques du début des années 1980, quelque part entre « Seventeen Seconds » (1980) et « Faith » (1981).
Durant l’été 1988, Smith se marie avec sa girlfriend de toujours. Il présente aussi ses nouvelles compositions aux autres membres du groupe. Ceux-ci se montrent enthousiastes et rendent finalement caduc l’idée d’un album solo. En novembre, le groupe se retrouve au Hook End Manor, un manoir transformé en studio d’enregistrement situé à Checkendon, dans l’Oxfordshire, près de Reading. Les six membres sont accompagnés par l’irremplaçable Dave Allen, maître du son sur les trois albums précédents, « Kiss Me Kiss Me Kiss Me » (1987), « The Head on the Door » (1985) et « The Top » (1984).
L’ambiance à vrai dire n’est pas au beau fixe au sein du groupe. Smith reste enfermé dans son état dépressif et parle peu. Lol Tolhurst quand à lui est confronté à son récurrent problème d’alcool. A vrai dire, le meilleur ami de Smith ne sert plus vraiment à grand chose au sein du groupe. Il assure à peine les parties de clavier qui lui sont confiées, Roger O’Donnel ayant justement été embauché pour pallier ses lacunes, sur scène d’abord et désormais en studio. L’exaspération est telle que les engueulades sont légions. L’une d’elles déclenche un claquement de porte de Tolhurst qui met fin de facto à treize ans collaboration.
L’incident marque bien entendu profondément les esprits, mais apaise l’ensemble du groupe malgré le mutisme de Smith qui semble rechercher un climat similaire à celui qui régnait lorsqu’il avait réalisé ce qu’il considère toujours comme son chef-d’oeuvre, l’album « Pornography« .
C’est un étrange single qui en Europe précède la sortie de l’album. « Lullaby » repose sur des riffs de guitare lentement égrenés sur lesquels Robert Smith chuchote une berceuse où il est surtout question d’araignées et de peurs enfantines. Le chanteur de The Cure évoquera le souvenir de son père, incapable de raconter autre chose que des histoires effrayantes lorsqu’il venait aider son fils à s’endormir. Le clip une fois de plus est réalisé par l’indispensable Tim Pope.
Pendant ce temps aux USA, c’est un autre titre de l’album, « Fascination Street » qui fait office de single. Un morceau héroïque où la basse de Simon Gallup se taille la part du lion. Présent sur la bande son du film « Lost Angels » de Hugh Hudson, le single atteindra la première place des charts locaux, donnant raison aux responsables d’Elektra, le label américain du groupe, qui craignaient que « Lullaby » ne soit pas formaté pour les oreilles américaines.
L’album « Disintegration » sort le 2 mai 1989 chez Fiction Records. Le titre intrigue, laissant croire à une fin programmée du groupe, corroborée par le départ de Tolhurst. La pochette de l’album est sombre et on y aperçoit, c’est une première, le visage de Smith, rejetant dans l’ombre les autres protagonistes. Un choix qui laisse de nombreux chroniqueurs avancer qu’il s’agit bien du premier l’album solo de Robert Smith, même s’il est vendu sous le nom de The Cure.
C’est le titre « Plainsong » qui ouvre l’album, un démarrage cristallin qui laisse place à un déluge de synthétiseurs couvert par une pluie de fines guitares. La voix de Smith se fait longtemps attendre, basse, lointaine, fragile. Le ton de l’album est donné. Un démarrage tellement parfait que le titre ouvrira durant de longues années les concerts du groupe.
L’ensemble de l’album est empreint de ce climat mélancolique, reposant sur de grandes nappes de synthé apportées par Roger O’Donnel, mais aussi une rythmique lente, une ligne de basse tout en profondeur et des guitares qui égrènent une mélodie souvent triste.
Curieusement, quelques morceaux se distinguent du reste de l’album sans en faire perdre sa cohérence. Les singles « Lullaby » et « Fascination Street » mais également « Pictures of you« , magnifique ballade romantique plutôt lumineuse, et « Lovesong« , étonnante pop-song que Smith dédie à son épouse avec ses mots d’amour tout simples, dénués de métaphores. Les quatre morceaux seront d’ailleurs déclinés en single, les autres (« Closedown« , « Last Dance« , « Prayers for rain« , « The Same Deep Water as You« , « Disintegration« , « Homesick » et « Untitled« ) semblant être indissociables les uns des autres pour former l’ossature de l’album.
Alors que l’on pouvait craindre un certain fléchissement, « Disintegration » sera vendu à plus de trois millions d’exemplaires dans le monde, devenant l’album le plus vendu de l’histoire du groupe. Il atteint la troisième place des charts britanniques tandis que « Lullaby » atteint la cinquième place des singles, les meilleurs scores réussis par The Cure dans leur pays d’origine. « Lovesong » quand à lui devient la plus grosse vente du groupe aux Etats Unis atteignant la deuxième place du Billboard. Pour le Melody Maker, « Disintegration » sera l’album de l’année 1989. Il sera même annoncé comme « le meilleur album de tous les temps » dans… un épisode de la série South Park.
Selon un planning bien rôdé, une tournée suit la sortie de l’album. Le Prayer Tour passe en Europe, réalise un carton plein en France (40.000 spectateurs deux soirs de suite à Paris) et explore pour la première fois les salles d’Europe de l’Est. Le groupe se rend ensuite aux États-Unis : 44.000 personnes sont présentes au Giants Stadium du New Jersey puis 50.000 au Dodger Stadium de Los Angeles. « Nous sommes devenus ce qu’on ne voulait pas devenir : un groupe de stade » déplore Smith, effrayé par tant de succès.
La déprime qui accompagne Robert Smith aà son retour des States laisse penser a la fin définitive du groupe, d’autant que l’ambiance n’est plus au beau fixe au sein des membres. Un album de remixes voit le jour un an plus tard avant que le groupe ne retrouve finalement le chemin des studios, des salles de concerts, et des stades. En 2002, le groupe reprendra l’intégralité de « Disintegration » lors d’un concert à Berlin où l’album est associé à deux autres, « Pornography » (1982) et « Bloodflowers » (2000) dans une sorte de trilogie mélancolique.